Léonard de Vinci

samedi 7 mars 2009

LA RENAISSANCE (5) CHAPITRE 10 : LA RENAISSANCE MANIERISTE XVI°S

CHAPITRE 10 LA RENAISSANCE MANIERISTE XVI°S
Jacques ROUVEYROL

La Renaissance classique du Cinquecento a donc mis en place un système de représentation basé sur :
--> Une construction rationnelle de l’espace : la perspective.
--> Un retour à l’antiquité :
- L’architecture antique,
- La sculpture antique,
- La mythologie antique,
- La philosophie antique (néo-platonicienne).
C’est sur tous ces aspects que va porter la contestation maniériste.

I . LA SPREZZATURA


Baltassare Castiglione, dans son livre Il Cortegiano (1528) définit l’attitude du parfait courtisan par ce terme : la sprezzatura. Exactement, c’est une « grâce » qui consiste en ce que une action entièrement artificielle paraît entièrement naturelle. C’est l’art de cacher l’art. La suprême élégance. Une sorte de désinvolture qui fait qu’on paraît agir avec facilité, aisance, naturel. La sprezzatura ou la grâce seront les maîtres mots du maniérisme. Plus qu'une contestation du classicisme, le maniérisme se donne comme un jeu sur les règles de celui-ci. Utiliser la perspective, par exemple, pour produire des effets aberrants. Produire des contresens architecturaux subtils (par rapport aux règles classiques), à peine remarquables pour que seul un esprit curieux, éveillé, intelligent, cultivé (connaisseur de la règle) soit en mesure de le noter et, par là, de se distinguer du commun des mortels. Ce n'est plus le beau qu'on recherche. On ne jouit plus de la contemplation d'une beauté éternelle. On jouit d'un instant, de l'instant de la découverte, mieux : de la trouvaille. Comme on jouit d'un mot d'esprit (d'une trouvaille intellectuelle).



                                                                                          Ecole de Fontainebleau


II. L’ARCHITECTURE

1.Le style classique.

Il revient à Bramante de codifier les bases du langage classique en architecture.

2.En architecture, le maniérisme va se manifester sous la forme d’un jeu. On montrera sa conscience de la règle en la déjouant.

a. Giulio Romano : Le Palais du Té à Mantoue.

Ici, deux choses : un écartement "anormal" des pignons de l'édicule ainsi qu'une "chute" d'un triglyphe qui paraît se détacher de l'appareil de l'entablement. Ailleurs, sur les façades donnant sur la cour, des alternances de surface rugueuses et lisses, de formes ouvrées et d'autres laissées à l'état brut. Comme des "anomalies" dans la construction ou des "dégradations" dues à un temps qui ne s'est pas encore écoulé.




Le décor intérieur (La Chute des Géants) n'est pas en reste qui met en scène un processus spectaculaire de "destruction". Comme si le bâtiment anticipait sur sa propre ruine.

b. Michel-Ange : Bibliothèque San Lorenzo à Florence

Là, c'est le vestibule qui surprend par sa hauteur insolite, son escalier disproportionné. Sur l'image ci-dessous, on aperçoit de frêles consoles qui semblent supporter d'imposantes colonnes. Ces mêmes colonnes sont comme incrustées dans la paroi ce qui abolit en partie l'impression de leur fonction portante que le classicisme mettait au contraire en avant, le mur assurant conjointement, ici, cette fonction. Les supports (pilastres) qui encadrent les fenêtres aveugles s'élargissent vers le haut, ne comportent pas de base et sont surmontés de chapiteaux "trop petits".


c. Sansovino : Librairia Marciana à Venise

d. Le maniérisme en France sous François Premier
--> Le château de Blois
--> Le château de Fontainebleau : la glorification du roi.
Déjà, au siècle précédent, l'artiste qu'on attachait à sa cour constituait un principe de distinction, un témoignage de son goût, de sa richesse.
Cela demeure au XVI° siècle. Mais l'artiste doit en outre "glorifier" son "maître", manifester son pouvoir et sa grandeur. C'est ce que le Baroque (au siècle de Louis XIV) reprendra.

...…                                                             ..Galerie François 1er. Les jardins maniéristes


Le maniérisme s'exprime aussi dans les jardins. Au hasard d'une promenade on fait des rencontres tout-à-fait insolites. Dans le Parc de Bormazo (Pratolino) on arrive soudain devant une maison penchée, ou une tête monstrueuse dont la gueule ouverte s'intitule Porte de l'Enfer. Ici, c'est une tortue géante, là un éléphant caparaçonné enlevant de sa trompe un soldat. Ici, une sirène à queue bifide, là la monstrueuse figure du Dieu Evandre ou un Dragon attaqué par des chiens. Dans la grotte du Jardin Boboli, à Florence, des figures apparaissent dans des concrétions calcaires qui semblent les avoir naturellement produites. Dans les Jardins de la Villa Demidoff (Pratolino), c'est un géant de onze mètres de haut qui est assis sur une "montagne" (Appenninno de Jean Bologne).



f. Les grotesques


Le maniérisme, c'est encore les grotesques. Ils ne sont pas liés à un délire de l’imagination ou de la fantaisie. C’est le XVII° (Descartes, Pascal) qui voit dans l’imagination une puissance d’illusion. A la Renaissance, l’imagination est une faculté de connaissance capable de faire apparaître les ressemblances cachées entre les choses. Capable de penser des possibles que la nature a pu réaliser sans qu'on l'ait su, sans qu'on le sache encore ou qu'elle n'a pas réalisé pour des raisons inconnues.




Le grotesque représente une libération (Francesco Doni Disegno 1549). On n’imite plus la nature. On ne reproduit plus ses proportions. On peut produire des formes entièrement nouvelles et hors de toute mesure. Où, encore une fois, l’imagination devient exploratrice des possibles enfermés dans ladite nature. Eloge de l’invention.
Les grotesques, c’est en outre, le refus de la perspective, de l’historia, de l’expression et de la composition (au sens de la « fenêtre » albertienne) ; le refus encore de la rationalité. En bref, le refus du classicisme.


III. LA SCULPTURE

Au Moyen-Âge, la sculpture, soumise à l’architecture, ne sort pas du mur et tient de lui sa valeur. Au XV°S naît (renaît) la statue, libre de l’attraction du mur dont elle est parvenue à s’échapper. Mais elle est encore liée à un contexte fonctionnel : un tombeau, une chapelle, etc. La statue acquiert avec le maniérisme une complète autonomie. Elle ne tient plus sa valeur que d’elle-même. De ce qu’elle est une œuvre d’art.

1. Les tombeaux de Michel-Ange.

Sans rapport avec la personnalité ni la biographie des défunts, la statuaire acquiert une valeur autonome. Deux des quatre Captifs (du Louvre 1513-1515) ont été réalisés pour le tombeau de Jules II. Mais détachés de leur contexte, éliminés du projet, ils valent, chacun pour lui-même, statues expressives de façon parfaitement autonome.
Sur les deux tombeaux , de Laurent et de Julien de Médicis : L’Aurore et Le Crépuscule (Laurent). Le Jour et La Nuit (Julien). Ces allégories ont une valeur absolument générale et n'ont d'autre rapport à Laurent et à Jules que d'opposer la mort à la vie. Quatre temps où le temps peut suspendre son cours.
La statue du duc Laurent, même, ne reflète pas ses traits. Elle n'est pas une effigie mais ... une statue.

2. Le rapport à l’antiquité : rivaliser plus qu’imiter.

Le maniérisme quitte le rapport d’imitation à l’antiquité. Il entend plutôt rivaliser avec elle. Là encore la ressemblance est moins importante que la démonstration d’habileté à rendre, par exemple, les vertus cardinales du souverain (voir Benvenuto Cellini Buste de Cosme 1er 1545-1547 Museo Nazionale del Barghello, Florence). Cette habileté est de l'ordre de la sprezzatura. L'artiste est naturellement doué. C'est pourquoi il ne cherche plus l'imitation des anciens.

3. La forme serpentine

La grâce (la sprezzatura, toujours) passe par le refus de la pesanteur. Michel-Ange invente « la forme serpentine » qui imite le mouvement de la flamme. L'élégance n'est pas seulement dans la capacité de l'artiste à produire une belle œuvre, elle doit passer dans l'œuvre elle-même. La Victoire de Michel-Ange du Palazzo Vecchio de Florence manifeste cette élégance naturelle dans la torsion du corps qui le fait s'élever comme la flamme. En opposition totale avec la frontalité des sculptures romanes (dont certaines pourtant, du premier gothique, ne manquaient pas d'élégance, il est vrai grâce, justement, à leur allongement : les statues colonnes de Chartres). Nous sommes ici au comble de "l'axialité" retrouvée par la Renaissance.

                                                                 .Victoire de Michel-Ange


En même temps, l'artiste manifeste son habileté en faisant que son personnage puisse être vu de tous les côtés à la fois, grâce à cette torsion. On retrouvera ce genre de "maniérisme" chez Picasso dès le cubisme lorsqu'il "sculpte" (découpe) des guitares visibles de dessus, de dessous, de gauche et de droite ou, après le cubisme, lorsqu'il "tord" les corps de femme pour qu'ils puissent être vus sous tous leurs angles.

IV. LA PEINTURE

1. L’espace maniériste

Il revient vers le plan du tableau (on a vu cela avec les grotesques) comme dans le gothique international (mais, à la différence de celui-ci) en conservant le volume des figures. Il évacue donc la perspective et, plutôt que de montrer la profondeur, il la suggère par divers moyens :
-l’admoniteur : une figure placée "devant" qui désigne le spectacle à observer (qui, de la sorte, se situe "derrière"). Parmigianino Vision de Saint Jérôme (détail) 1527 National Gallery, Londres.



- la figure incomplète au premier plan : le fait que la figure soit coupée vers le bas par le cadre la situe "devant" et le reste, donc, "derrière".



-le témoin : de l’intérieur de l’action, il permet au spectateur (témoin par définition) de s’identifier et d’apporter avec lui dans la toile son propre espace (donc la profondeur). Par exemple ici : Raphaël Héliodore chassé du Temple 1511-1512 Chambre d’Héliodore, Vatican.


                                                                                           .Figures incomplètes
2. Le mouvement : la forme serpentine.

La beauté du corps tient moins à ses proportions qu’à son mouvement. A celui-ci seul revient la grâce (la sprezzatura), supérieure à la simple beauté. Ce mouvement gracieux s’exprime au mieux dans la forme serpentine qui prend deux expressions :
a. L’amphore


                                                                                           ..Pontormo Léda et le Cygne 1512-1513
b. Le contraposto

                           .Cornelis Cornelizs Suzanne et les Vieillards Germanisches National Museum, Nuremberg

c. L’allongement des corps


...                                            .Parmigianino Madone au long cou 1532 (inachevé) Palais Pitti, Florence

3. Les contrastes chromatiques

Des couleurs vives, contrastées et acides. Elles viennent de Michel-Ange (plafond de la Chapelle Sixtine).

                                                          Pontormo La Déposition 1527 Santa Felicità, Florence

4. Les « exagérations » ou déformations.

Elles résultent souvent de l’exploitation à l’extrême des règles classiques de la perspective. Par exemple : le raccourci.

                                     ..Beccafumi Beccafumi La Chute des Anges rebelles (détail) 1527 Pinacoteca Nazionale

5. L’horror vacui.

La règle classique définie par Alberti exige une présentation sobre et aérée qui rende l’historia lisible. Pas de tumulte. Le maniérisme transgresse cette règle, juxtapose le proche et le lointain, annule les intervalles, emplit l’espace de figures, jusqu’au tumulte.


                                                                   ..Cornelis Cornelizs Le Massacre des Innocents

6. Conséquence : la mise au second plan de l’historia ( L’Incendie du Borgo de Raphaël) ou la mise au second plan d’éléments sans rapports avec l’historia (Le Tondo Doni de Michel-Ange). Dans Le Christ dans la Maison de Marthe et Marie de Peter Aertsen (1552), la quasi totalité du tableau figure une nature morte. Au fond, au loin, les protagonistes de cette scène de l'Evangile.

7. D'autres "effets" ne peuvent être systématiquement répertoriés. La main de Jupiter sur la taille de Io dans le tableau de Corrège Io (Vienne, Kunsthistorisches Museum 1531) , son visage près de celui de la jeune femme n'apparaissent pas au premier regard, enveloppés qu'ils sont par le nuage dont il n'a pas pris l'apparence mais dont, visiblement, il s'est enveloppé (ci-dessous). Un "effet" à l'inverse de ce que sera l'effet baroque puisqu'il vise à laisser deviner et non à s'imposer. Il en appelle à cette "sprezzatura" de l'esprit qu'est la subtilité.


Ou encore, par le même Corrège, la reprise discrète et élégante d'un procédé médiéval dans Léda et le Cygne (Staatliche Museen, Berlin 1532) la peinture simultanée de trois moments différents.



A droite, Léda au bain approchée par le cygne aux ailes déployées. Puis, un peu plus à gauche, la voici sortant de l'eau et, tandis qu'on lui tend un drap, qui regarde le cygne s'envoler. Enfin, au centre, assise sur le drap, elle reçoit le cygne entre ses jambes. 1. Séduction. 2. Désir. 3. Abandon.


V. LES FÊTES

C’est peut-être dans les fêtes plus encore que dans l’architecture, la sculpture et la peinture, que le maniérisme trouve l’essentiel de ses manifestations. Les fêtes religieuses subsistent certes au XVI°S, mais à côté se développent des fêtes profanes grandioses, souvent à l’échelle des villes. Ce sont les Entrées qui célèbrent la venue des princes, les fêtes de Cour (les Magnificences de Fontainebleau, par exemple), les célébrations de mariages ou de couronnements.


4 commentaires:

  1. Je ne comprends pas l'exemple Raphaël Héliodore chassé du Temple 1511-1512 qui illustre le témoin : de l’intérieur de l’action, il permet au spectateur (témoin par définition) de s’identifier et d’apporter avec lui dans la toile son propre espace (donc la profondeur).
    Plus précisément, je ne visualise pas l'incarnation du témoin et me demande à quoi je dois, en tant que spectateur, m’identifiée. Votre cours est passionnant c'est pourquoi je me permet de vous interpeller. Merci de me répondre.

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    1. Il s'agit, par des moyens non classquas (comme par exemple la perspective), de produire de la profondeur. Celle-ci n'est donc pas "sur la toile". Il va falloir l'"importer". Donc la prendre où elle est : à l'extérieur. Or à l'extérieur est le spectateur avec "son espace propre" (dôté de profondeur). L'astuce consiste à installer "dans" la toile un personnageb auquel comme spectateur je m'identifie apportant ainsi "subjectivement" un espace, une profondeur qui ne s'y trouve pas "objectivement". Dans le tableau de Raphaël, le "témoin", c'est l'homme en position la plus haute, accroché à la colonne et qui domine la scène. C'est à lui que je suis invité à m'identifier.

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  2. Dans le détail que vous présentez de La Chute des Anges rebelles Beccafumi, 1527, je vois l'exagération dans la gestuelle très théâtrale, le corps du personnage au sol qui prend une posture qui semble impossible me font penser à une déformation. Est ce là une exploitation à l’extrême des règles classiques ? En parlant de cette utilisation singulière de la perspective, j’apprécierais de savoir dans quel cas le raccourci en est l'illustration. Pouvez vous me donner un exemple svp. Merci d'avance et veuillez m’excuser pour ces nombreuses questions.

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  3. Dans le détail présenté de la Chute des Anges rebelles, le personnage de gauche, en particulier, présente un raccourci pour le moins audacieux qu'on ne trouverait nulle part dans le classicisme du siècle précédent. Son bras droit (qu'on peut "penser" derrière son torse mais qu'on "voit" dans le prolongement du bras gauche) est tellement "raccourci" qu'il en disparaît purement et simplement. Perspective à point de fuite extrêmement rapproché (en conformité avec le refus "géométrique" de la profondeur pratiqué par le maniérisme). Voyez Michel-Ange Le supplice d’Aman 1511 Chapelle Sixtine, Vatican qui en est le modèle. Le résultat du procédé, c'est une contorsion singulière du corps qui n'exclut pas la grâce (puisque c'est la "plasticité" du corps qui est ainsi exprimée) mais qui chasse bien loin l'idéal de beauté du classicisme. Voila deux exemples d'une exploitation à l'extrême de la règle classique de la perspective.
    On pourra regarder encore : Annibale Carrache Christ mort 1582 Staatsgalerie, Stuttgart (et, dès avant : Mantegna Le Christ mort Galleria Bera, Milan), mais aussi l'ange remarquable dans Piero della Francesca Le rêve de Constantin 1466 San Francesco Arezzo.

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