Léonard de Vinci

samedi 7 mars 2009

LE XVII°S CHAPITRE 12 : LA REFORME : LE XVII°S HOLLANDAIS

CHAPITRE 12 LA PEINTURE REFORMEE : LE XVII°SIECLE AUX PAYS-BAS
Jacques ROUVEYROL

I . LA REFORME

Contre une politique romaine de l’Église tournée vers la grandeur temporelle, Luther puis Calvin entreprennent la Réforme. L’Évangile est seule source de vérité et le salut repose dans la foi, pas dans les œuvres. Il ne s’achète pas par des « indulgences ». Dans le salut, la grâce et la prédestination jouent un rôle essentiel (Calvin).On assiste à une remise en question du célibat sacerdotal, des vœux monastiques, des sacrements, ET du culte des images.

II. LA SCENE DE GENRE

1. De Luther à Calvin, la position iconoclaste de la Réforme se renforce. L’image religieuse est exclue. La peinture se retourne donc vers le profane, vers le quotidien. Les Pays-Bas développent la scène de genre.
L’impossibilité de représenter des scènes religieuses conduit les peintres à se tourner vers des scènes de la vie courante. Aux héros de Dieu, les saints, se substituent des héros « ordinaires ». A la peinture d’histoire succède la scène de genre (avec le paysage et le portrait). A l'extraordinaire succède le quotidien.

Le Moyen-Âge représentait déjà l’activité humaine (à côté de celle des saints) mais de façon systématique dans le cadre d’une classification exhaustive de ces activités : dans le calendrier. Ou comme attribut de tel ou tel saint (Joseph est charpentier).
Au XVI° siècle, déjà, les genres profanes commençaient à acquérir une certaine indépendance par rapport à la peinture religieuse : portraits, paysages, natures mortes (par exemple : Caravage Corbeille de fruits 1596 Milan Pinacothèque Ambrosienne)
Le XVII° S hollandais va prendre l’activité humaine en elle-même et pour elle-même. Sans travestissement (une femme à la toilette ne sera pas une Bethsabée au bain, même si quelquefois l'ambiguité subsiste; la Bethsabée au Bain, de Rembrandt, 1654, justement est aussi bien une Femme à sa toilette). La scène de genre (réputée inférieure à la Peinture d'Histoire) peint donc le quotidien.

D'une façon générale, l’interprétation révèle généralement trois sens:

1.Le sens allégorique: le tableau est la figuration codée d’une abstraction. La femme ci-dessous représentée est une allégorie de la foi.

                                    ..Vermeer L’Allégorie de la Foi 1671-1674 New-York, The Metropolitan Museum of Art

2. Le sens historique: le tableau est la figuration d’une scène mythologique ou historique. Ce savant appliqué à l'étude est Saint Jérôme.


;;;;;;..                                                  .Massys (entourage) Saint Jérôme 1520 Dusseldorf, Kunstmuseum

3. Le sens générique: le tableau est la figuration d’une certaine activité. Là une scène musicale.

                                                                                     .Gérard Ter Borch Le Concert 1657 Paris, Louvre

Quand un tableau ne présente ni un sens historique ni un sens allégorique il se détermine comme une scène de genre.

La scène de genre hollandaise rejette tout ce qui n'est pas quotidien. Elle peint un soldat ? Oui, mais endormi
Ce quotidien, se répartit en deux domaines : le dedans (féminin, pacifique, vertueux), le dehors (masculin, conflictuel, vicieux).


Dedans, les femmes incarnent les vertus domestiques (nourriture, propreté, entretien de la maison, éducation des enfants). La femme est au foyer. Pourtant la situation de cette dernière est très valorisée. Elle est même davantage valorisée (vertu) que celle de l’homme (vice). Elle jouit d’une grande liberté (dans la maison, il est vrai) et participe largement aux affaires relatives à l’économie (domestique). Elle est instruite pour instruire ses enfants


Dehors, les hommes montrent leur fragilité, leur corruptibilité (intempérance, ivresse). L'homme reste le maître, assurément, mais un maître fragile, faible, facilement entraîné vers la débauche.


2. S’agit-il alors, seulement, de constats ? De peindre le réel tel qu’il est, sans plus ? Pas encore au XVII° siècle. « Réalisme » et symbolisme cohabitent dans la peinture hollandaise. Un symbolisme moralisant.

a. La peinture hollandaise, en effet, n’est pas réaliste. Elle peint le quotidien mais pas tout le quotidien. En outre, elle ne refuse pas la « citation », c’est-à-dire la référence à la peinture elle-même. Les peintres empruntent les uns aux autres : on peint aussi la peinture. La même année Vermeer et Pieter de Hoock peignent une Femme à la Balance. Vermeer peint Le verre de vin (1660-1661 Staatliche Museen zu Berlin) et Gerard Ter Borch le Gentilhomme faisant boire une dame (Buckingham Palace) très ressemblants.


b. La peinture hollandaise est symbolique.

--> Un symbolisme « neutre » : Bien souvent, chez Vermeer en particulier, on rencontre un tableau dans le tableau. C'est précisément ce tableau qui donne le sens de l'œuvre. Vers qui se retourne cette femme ? Le Cupidon du tableau suspendu au-dessus de sa tête ne laisse aucune équivoque : c'est vers un homme.

Derrière la femme de L'Allégorie de la Foi (voir plus haut) de Vermeer, c'est une Crucifixion de Jacob Jordaens (1620 Coll. particulière) qui se donne à voir. Derrière La Femme à la Balance (plus haut) un Jugement Dernier donne à comprendre que cette femme ne pèse pas l'or de ses bijoux (les plateaux sont vides) mais la valeur d'une action qu'elle se propose d'entreprendre : que vaudra cette action dans la balance du Jugement Dernier qui opère la "pesée des âmes" ?
Dans La Dame écrivant de 1665 de Vermeer encore, Le tableau sombre accroché au mur est une nature morte avec instruments de musique dont une viole de basse : il renvoie à l'harmonie amoureuse qui est le thème de la correspondance entretenue par cette femme.

Et encore, dans La Lettre d'Amour (1669-1670) du même peintre, l’inquiétude de la maîtresse est démentie par non seulement le sourire de la servante, mais aussi par la marine calme accrochée au mur, signifiant à la fois le voyage de la lettre et un bon présage en amour.


Il reste que l'interprétation des symboles n'est pas toujours aisée (elle ne l'était pas davantage dans la peinture flamande du XV° siècle). Pourquoi, par exemple, dans La Leçon de Musique (1662-1664) de Vermeer (voir plus bas) le visage de la jeune fille face au miroir, qui est penché sur le clavier de l’épinette, est-il redressé et tourné (vers le gentilhomme) ? Pourquoi, dans La Liseuse à la Fenêtre (plus bas aussi) le visage vu de profil est-il reflété de face ?


Soit la Femme au collier de perles (1664) ci-dessous. S’agit-il d’une vanité? (Femme s’admirant au miroir, collier de perles à connotations sexuelles). Il ne faut pas oublier que le miroir est aussi un des attributs de la Prudence et de la Vérité. Que les perles sont aussi associées à la foi, la pureté et la virginité. Seuls le calme et la sérénité de la femme laissent penser plutôt à une signification positive d’intégrité, de véracité et de pureté.



Dans la lignée des travaux d'Arasse sur Le Détail, Siri Hustvedt, dans Les Mystères du Rectangle, propose une autre interprétation de l'œuvre à partir d'un détail intrigant : il n'y a aucun tableau accroché au mur entre la fenêtre et le personnage, mais une lumière vive, centrale, qui attire le regard presque davantage que la jeune femme. Donc, pas de carte au mur, mais la lumière. Et aussi, là où le sommet de la fenêtre rencontre le rideau, un œuf ou, en tous cas une forme ovoïde. Le miroir, aussi, qui ne reflète rien (dont nous ne pouvons voir ni s'il reflète ni ce qu'il reflète éventuellement) comme si toute lumière "terrestre" s'était éteinte. Comme si toute lumière "réfléchie" (symbole de l'Ancien Testament dont d'AVANT la lumière directe que représente la parole du Christ) était devenue ténèbres au regard de la lumière céleste apportée par l'Ange et qui se "figure" sur le mur. Quant au collier de perles il fait un cercle fermé d'éclats de pureté. Ce tableau pourrait donc être une Annonciation cachée.

--> Un symbolisme moral (inspiré des emblèmes : feuillets ou livres aussi bien populaires comportant un titre, une image, un petit texte, l’ensemble valant leçon de morale ou conseil technique).

· Constitué d’éloges portant sur les vertus domestiques..



- Ou de blâmes portant sur les excès et les vices, principalement : l'intempérance, la paresse, la luxure.


--> Un symbolisme « large » manifestant les relations humaines. Nombre de tableaux qui ne sont ni éloges ni blâmes sont ainsi consacrés à la relation amoureuse, la lecture ou l’écriture de la lettre d’amour, la convivialité (par le vin ou par la musique).



III. LA NATURE MORTE

Le Moyen-Âge est symbolique. D’un symbolisme religieux. La Renaissance flamande reste symbolique, à la différence de la Renaissance italienne. Mais le symbolisme se cache (Van Eyck, …). Le XVII° siècle hollandais conserve le symbolisme, un symbolisme caché mais ce symbolisme devient profane : moral. La nature morte est son terrain d’élection.

1. Les allégories : les natures mortes (allégoriques).

a. Le plaisir des sens :
b. Le plaisir des sens et la vanité de ce même plaisir




2. Les vanités (le rappel de la mort : memento mori) ...


…                                                                                                       Première vanité connue…

... et le pouvoir immortalisant de la peinture. (Ci-dessous, le crâne rappelle que la mort n'épargne personne, pas même l'artiste qui tient d'une main son autoportrait. Mais cet autoportrait est ce qui survivra à l'artiste. L'art triomphe de la mort qu'il dénonce et assure l'immortalité de ce qu'il touche).




3. La vanité : la table riche (premier tiers du XVII°).

Les vanités sont là pour rappeler aux hommes le caractère éphémère des plaisirs de ce monde ainsi que de la vie terrestre. Elles visent à dénoncer le peu de valeur des plaisirs et de la vie elle-même. Pourtant, elles n’excluent pas l'exercice de cette vanité : l’exposition de la richesse. En période de famines, cette richesse se manifeste par l’abondance : la table richement garnie.



4. La vanité : la table raffinée (après le premier tiers du XVII°), la période des famines passée, la richesse se montre mieux que par l’abondance, dans le choix des mets et des ustensiles de présentation. C’est la table raffinée.


IV. LE PAYSAGE

Calvin exige : on ne peut représenter que ce qui peut être vu. Les hommes (scènes de genre, portraits), les choses (natures mortes) et la nature (paysage).On ne peut montrer « le Ciel », alors on fera le portrait de la Terre. Dans ses moindres détails.

Paysages de campagne, vues de villes, marines, c’est (paradoxalement ?) surtout le ciel qui est peint. Ce ciel où Dieu n’a plus « le droit » de se montrer.

V. LA SUSPENSION DE L’INSTANT

Au-delà de leur signification emblématique, les œuvres des peintres majeurs, s’efforcent de saisir dans un geste quotidien qu’ils suspendent ce qui fait l’essence de la vie humaine selon la culture hollandaise du XVII° siècle. Ce geste est alors arraché à la banalité et une sorte d’Olympe bourgeois vient à se constituer dont les héros ne sont plus des guerriers ou des divinités, mais de hommes et des femmes ancrés dans la vie quotidienne. Du coup, c’est une peinture qui représente moins qu’elle ne présente les êtres et les scènes qu’elle figure. La peinture hollandaise du XVII° siècle est une peinture de la présence.

Pas de drame, pas de crise, pas d’histoire(s), mais l’existence même des choses, des êtres, de la matière. Cela donnera Chardin au XVIII° siècle en France. Cette présence est manifestée mieux que partout ailleurs chez Vermeer. (Ci-dessus, la célèbre Dentellière 1658-1660)

a. Du privé à l’intime
Vermeer n’a peint que deux vues d’extérieur (La Ruelle et la Vue de Delft) Dans les intérieurs s’ouvrent des fenêtres mais au travers desquelles on ne voit jamais. Mieux : qui reflètent quelquefois l’intérieur. Un obstacle visuel s’interpose souvent entre le spectateur que nous sommes et le sujet peint. Il y a donc comme un dedans du dedans. C’est cela que peint Vermeer.

                                                          .Vermeer Liseuse à la Fenêtre (1647) La Leçon de Musique (1662-1664)

b. Une intimité proche mais inatteignable : secrète.

Seul le fil que tient dans ses mains la dentellière est net. Tout le reste du tableau est (légèrement) flou. Nous voyons donc ce fil avec ses yeux : intimité. Mais, nous ne voyons pas ce qu’elle fait :secret.


;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;Gerad Ter Borch La Dépêche 1658-1659 Philadelphie, Museum of Art

A la concentration de la dentellière s’oppose ou plutôt répond la déconcentration de personnages témoins, tout aussi insaisissables. Que regarde et à quoi pense ce messager de La Dépêche ? Ou les jeunes femmes de Curiosité (1660) ou de La remontrance paternelle (ou Conversation galante 1654-1655) du même Ter Borch ?

c. La lumière.

Mais Vermeer, c’est aussi le peintre de la lumière. Qui est le peintre, dans cette Allégorie de Vermeer ? Visiblement il en est à l'esquisse. Mais Vermeer ne fait jamais d'esquisse. Il use d'un appuie-main. Mais à ce stade, l'appuie-main est superflu. Donc ce peintre n'est pas Vermeer. Vermeer peint une Allégorie de la peinture, mais le peintre du tableau peint autre chose : une Allégorie de l'Histoire. Le tableau est difficile à lire, comme on le voit. Donc, la peinture est difficile à représenter (il est difficile d'en faire une allégorie). C'est pourquoi la carte qui fait le fond du tableau est illisible. Mais, qu'est-ce qui la rend illisible ? La lumière qui se réfléchit sur elle. C'est dire qu'il y a un mystère de la peinture. Celle-ci a vocation pour restituer la lumière. Pourtant, la lumière est la seule chose visible qu'on ne puisse peindre (ce que contesteront les impressionnistes mais au prix d'un changement radical dans la peinture elle-même).

Conclusion :

En rupture, à cause de la Réforme, avec la peinture religieuse de la Renaissance italienne, mais dans le mouvement même de cette Renaissance qui avait quitté le Ciel pour la Terre (une terre peuplée de héros : saints ou dieux de la mythologie), les Pays-Bas prennent pour objet de la peinture le quotidien.
A travers les scènes de genre et les natures mortes, c’est la présence des êtres et des choses qui se trouve affirmée. Au lieu que les dieux descendent dans le monde, ce sont les êtres et les objets de ce monde qui s’élèvent à un mode d’existence essentiel. Et cette essence, c’est dans leur intimité qu’on la découvre et qu’on la fixe.

VI. APPENDICE 1 : LES FLANDRES

Les Pays-Bas convertis à la Réforme ont donc converti aussi leur peinture.

Mais le Nord, c’est aussi la Flandre, demeurée catholique et attirée par le Sud : l’Italie et la France :
L’Ecole d’Anvers :..Jacob Jordaens 1593 – 1678
............................   .Pieter Paul Rubens 1577 – 1640
.............................   Antony van Dick 1599 – 1641

1. Ces peintres ont de “nordique” leur attachement au quotidien et ne répugnent pas à peindre de la scène de genre. Mais ils ont aussi un côté « sudiste », « italien » qui les conduit à la peinture d’histoire (religieuse ou mythologique).

2. Il arrive que la peinture d’histoire soit prétexte à la scène de genre. Ainsi Jésus chez Marthe et Marie (scène déjà utilisée en ce sens par le maniériste Peter Ansver au XVI° s mais qui le sera encore par Velasquez) est prétexte au développement d’une nature morte qui, combinée à la rencontre «historique» du Christ avec les deux femmes, fait une scène de genre ».


VII. APPENDICE 2 : LES CATHOLIQUES AUX PAYS-BAS

Aux Pays-Bas, quelques poches de « résistance » catholique (comme Utrech) voient se développer une peinture d’histoire influencée par l’Italie (et spécialement le Caravage)

1. L’Ecole d’Utrech : Hendrick Ter Brugghen 1588 – 1629
...............................    Gerrit van Honthorst 1590 - 1656
Là encore, on suit la tradition italienne de la peinture d’histoire. Mais on est de son pays, de sa culture, hollandais. Alors, on fait aussi de la scène de genre.

2. Rembrandt, enfin, le plus grand excelle autant dans un domaine que dans l’autre.


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